Un jeu de couleurs

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Un jeu de couleurs

Si peut-être vous ne connaissez pas encore le peintre Bruno Dufourmantelle, je gage que d’ici peu son nom sera sur toutes les lèvres, comme un murmure d’abord, tel que la discrétion des « découvreurs de talent » l’exige, puis, de mois en mois, la rumeur se confirmera jusqu’à devenir l’explosion d’une fanfare ! En effet, ce jeune peintre glâne, dans les coulisses de la célébrité, succès par succès ; les plus grands collectionneurs internationaux, avant même qu’il ne soit connu du grand public, achètent déjà ses œuvres à tour de pinceaux ! On sait bien qu’avant d’être un jeu, ce marché est un enjeu et les prix vont grimper, grimper, grimper encore, sur « l’arbre à phynance » où les feuilles sont billets de banque vibrants au souffle du vent des modes. Pourtant, ici, le propos n’est pas là (!) mais bien celui du jeu des couleurs que Bruno Dufourmantelle dirige avec une maestria toute particulière. Ecoutons-le parler :
« Les couleurs ? Il n’y a pas de couleurs, il n’y a que des vibrations ; une couleur n’existe qu’avec la transparence de celles qui l’ont précédées sur la toile, que par rapport aux voisinages des tonalités qui l’entourent. Pour trouver un jaune, un vert, un rouge, jamais je ne commence par étaler du jaune, du vert, du rouge ; la couleur est une recherche, un jeu à maitriser ; mes tableaux, huiles ou pastels, ne comportent pas moins de quinze couches chromatiques différentes ».

Bruno Dufourmantelle est poète, je l’écouterais parler des heures entières et j’ai fort envie de vous livrer quelques unes de ses paroles : « Que j’aime la peinture ! Même quand je la croise le long d’un mur sans l’avoir vue et qu’un peu plus loin, la marche se faisant, le sentiment d’une présence me retient. Alors je me retourne, reviens sur mes pas, m’en approche, glissant sur le sol entre lumière et ténèbre, étrange impression de perdre mon identité, de sentir un présage, une nouvelle rencontre colorée. Mais soudain le mur est là, tout près, trop près. Un piéton me regardant s’étonne, la lumière est blafarde… Et je m’éloigne sans un mot, de peur d’avoir surpris, bouleversé ou dérangé l’éternité d’une œuvre d’art… ».

Ce qui est magnifique, chez tout artiste, c’est cette humilité qui est sienne ; il me dit : « Le geste du peintre est simple, c’est ce qui en fait sa beauté, sa violence, sa vérité. Être toujours à la recherche d’un nouveau prétexte et ne jamais se confronter à la faiblesse de son geste et à la variété de ses rencontres. Le merveilleux, pour la peinture, est que tout est possible. La seule difficulté est de trouver l’ordre dans le travail, car cet ordre ne saurait être transgressé. Attention ! Les erreurs cachées remontent un jour à la surface du tableau pour crier aux yeux qui les entendront. Rien de ce qui est peint ne nous appartient; seulement la grâce de vivre ». Et c’est alors que je plonge dans les toiles qu’il me présente ; le ciel de Paris semble s’y associer, symphonie de nuages, de mouvements d’air, présence discernable de l’infini ! Curieux paradoxe auquel seul l’art peut prétendre.

Après la majesté puissante des huiles nous en venons aux pastels plus intimes, vibrants comme une peau, mystérieux comme un frisson : « Dans mon travail, le pastel et l’huile sont complémentaires ; le point de départ d’un tableau est une sensation que seule la pulvérence du pastel peut me procurer ; ce n’est qu’après l’étude d’un groupe de pastels que l’huile devient un besoin ».

Quand je lui demande où vont ses préférences, il me répond : « En fait, j’estime l’un et l’autre, mais pas de la même façon. L’huile serait la mer et le pastel le lac, Victor Hugo et Lamartine, Beethoven et Mozart ». Peinture, musique, littérature, couleurs picturales, couleur d’un son, un texte haut en couleurs… La couleur joue ainsi quelquefois à nous offrir des chefs-d’œuvre.

Dorian Paquin
L’Officiel de la couture et de la mode de Paris – 1984

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